Anggun « C’est le destin qui m’a amenée en France » Le 21/05/2012 à 05:00 par Propos recueillis par Olivier Brégeard
Star dans une grande partie de l’Europe et de l’Asie, la chanteuse d’origine indonésienne représentera la France, son pays d’adoption, en finale du 57 e concours Eurovision samedi prochain, à Bakou, en Azerbaïdjan. Avant un concert à Bâle, le 10 juin.
Représenter la France à l’Eurovision, après avoir acquis la nationalité française, c’est une forme de reconnaissance ? Le signe d’une intégration réussie ?
C’est un honneur pour moi, c’est pour ça que j’ai accepté tout de suite. Ce n’est qu’après que j’ai réalisé l’ampleur de la chose, ça représente une lourde responsabilité. Mais les gens sont très encourageants : les chauffeurs de taxi, ma banquière, ma boulangère… Je sais que l’attente est grande. Je serai responsable de ce qui se produira sur scène, mais pour ce qui se passera en dehors, ce sera hors de mon contrôle.
Il y a toujours une attente, mais le concours est aussi volontiers tourné en dérision en France : avez-vous hésité à dire oui ?
Non. L’image de l’Eurovision en France, et surtout à Paris, ce côté poussiéreux, ringard, c’est peut-être parce que les gens ont arrêté de regarder l’émission en 1977. Ces cinq dernières années, le niveau du spectacle est devenu incroyable. Il y a un véritable engouement, quasi religieux, dans 80 % des pays participants. C’est un peu triste de constater qu’en France, ce concours n’a pas l’importance qu’il mérite. Je trouve aussi dommage le choix que font certains pays : cette année, la Russie envoie des mamies, un girls band de sexagénaires, ça ne contribue pas à faire prendre les choses au sérieux. Mais l’Angleterre, l’Irlande, les pays scandinaves l’Allemagne envoient de très bons candidats, avec de superbes chansons.
Bakou, c’est loin de l’Indonésie, mais c’est presque l’Asie : pensez-vous que c’est un avantage pour vous ?
L’Azerbaïdjan, c’est vraiment en plein milieu, entre l’Occident et l’Orient. Un peu comme moi. C’est un pays musulman… Mais pour moi, ce concours s’arrête à la musique : ce n’est pas de la géopolitique.
Chanter partiellement en anglais, c’est pour séduire le public international ?
Oui, tout à fait. Mais il n’y a que quatre phrases en anglais, qui résument le texte français. Pour moi, c’est important de chanter dans la langue du pays que je représente.
Vous êtes toujours une star en Indonésie : pourquoi avez-vous pris la nationalité française, en 2001 ?
C’est comme une espèce d’engagement envers ce pays, qui est la maison que j’ai choisie. Il y aura toujours l’Indonésie : je reste Indonésienne, je m’en souviens chaque fois que je me regarde dans un miroir, ça s’entend à mon accent, mais je vis en France, je paie mes impôts en France, je suis mariée à un Français. J’ai une vie franco-indonésienne.
Il faut pourtant rappeler que vous êtes venue en France un peu par hasard…
Oui, c’est vrai. Comme quoi, le hasard fait bien les choses. J’aime à dire que c’est le destin qui m’a amenée ici.
Comment s’organise votre carrière aujourd’hui, entre la France, l’Indonésie, le reste du monde ?
Mes disques sortent dans quinze territoires, en Europe et en Asie. Je suis toujours assez éparpillée. Je ne suis jamais totalement en France, ni en Indonésie. Je suis toujours de passage. J’aime bien ça, c’est comme mener plusieurs existences à la fois. Mais il y a aussi des inconvénients, évidemment.
Depuis votre installation en France, en 1997, tous vos albums sont sortis en trois versions : en français, en anglais et en indonésien. Dans quelle langue sont écrites les chansons ?
En anglais. Ce sont les mêmes chansons dans les différentes langues, seuls les textes changent. J’écris les textes en anglais et en indonésien. En français, ce n’est pas vraiment que je n’ose pas, j’entretiens plutôt mon handicap : je n’ai pas assez vécu et rêvé les choses en français. C’est ma troisième langue. Même si je parle désormais couramment, ce n’est pas suffisant pour écrire. C’est une question d’honnêteté. Et je ne veux pas me priver du talent des auteurs avec lesquels je travaille.
Vous avez 37 ans, et cela fait 25 ans que vous êtes systématiquement n°1 en Indonésie, tout en changeant de style musical : c’est extraordinaire…
Oui, c’est pas mal [rires] ! En tant qu’artiste, je me dois de renouveler les choses, je n’ai pas envie de faire toujours la même chose. C’est peut-être aussi pour ça que je voyage beaucoup. Fort heureusement, en Indonésie, on est assez ouvert, je n’ai pas l’impression que les Français le sont autant.
Vous vous êtes toujours investie dans des causes humanitaires, vous êtes Ambassadrice de bonne volonté de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) : est-ce que vos origines indonésiennes vous ont sensibilisé à la pauvreté, à la faim dans le monde ?
Moi, je n’ai pas connu la faim, mais je suis issue d’une famille assez pauvre, heureusement riche en culture et en amour. Je suis un être humain, je voyage beaucoup, je sais que l’on partage cette Terre avec 7 milliards d’habitants, tous n’ont pas la même chance que nous : certains n’ont pas d’eau potable, se couchent le soir sans avoir mangé, ou très peu… Il n’y a pas de petites contributions pour les aider : chaque geste compte.
Je travaille avec l’ONU depuis dix ans, et je peux même vous dire qu’un jour, j’y consacrerai ma vie. J’ai vraiment l’impression d’être utile à quelque chose, ça me remplit. La musique a toujours été mon moyen de communication, c’est ma vie, mais un album, une chanson, ne peuvent pas changer le monde.
Dimanche 10 juin à 20 h 30 à Bâle (Grand Casino). Tarif : 42 CHF/35 €. Rens.
www.grandcasinobasel.comle 21/05/2012 à 05:00 par Propos recueillis par Olivier Brégeard
http://www.lalsace.fr/actualite/2012/05/21/c-est-le-destin-qui-m-a-amenee-en-france